L’Autorité de Santé des Etats-Unis, la FDA, a autorisé le 2 juillet un nouveau traitement contre la maladie d’Alzheimer, le KisunlaTM. Issu de l’immunothérapie, ce médicament est le second autorisé aux Etats-Unis, après le Lequembi®. Quels sont les enjeux actuels de l’immunothérapie contre la maladie d’Alzheimer ? Quels sont les espoirs de ces nouveaux traitements ? Pourra-t-on bientôt en bénéficier en France ? Les réponses avec le Dre Maï Panchal, Directrice Générale et Scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer.
Jusqu’ici, les traitements proposés aux malades d’Alzheimer visaient l’atténuation des symptômes et l’amélioration de la qualité de vie, sans être capable de ralentir, de stopper ou d’inverser le processus de destruction des neurones et le déclin cognitif. Même si la recherche Alzheimer doit poursuivre ses avancées, l’autorisation par l’agence Fédérale Américaine des Produits Alimentaires et Médicamenteux du Lequembi®, puis plus récemment du KisunlaTM , ouvre la porte vers une véritable thérapie de la maladie d’Alzheimer. “Ce traitement, avec le Leqembi®, ouvre une nouvelle ère thérapeutique dans le domaine de la maladie d’Alzheimer. Depuis sa découverte en 1907, la maladie d’Alzheimer est une pathologie pour laquelle les malades étaient, jusqu’à présent, dans une impasse thérapeutique. Cette avancée est le fruit de près de 40 ans de recherche depuis la découverte de la protéine bêta-amyloïde en 1984 qui est à l’origine des dépôts amyloïdes. Donc c’est un réel espoir pour les malades et leur famille”, souligne le Dre Panchal.
“Le Leqembi® et le KisunlaTM ont montré un potentiel prometteur pour ralentir le déclin cognitif.”
Le 6 janvier 2023, les Etats-Unis avaient déjà approuvé la commercialisation du traitement Leqembi®, suivi, la même année, par le Japon. En 2024, ce sont la Chine, la Corée du Sud, Hong Kong et Israël qui ont donné leur approbation pour ce traitement, qui est donc prescrit dans ces pays.
Avec l’autorisation de ce second médicament aux Etats-Unis, la recherche contre la maladie d’Alzheimer prend un nouveau tournant. En effet, selon le Dre Panchal, l’immunothérapie représente l’une des avancées majeures de la recherche clinique sur la maladie d’Alzheimer, qui exploite le système immunitaire pour combattre cette pathologie. “C’est notamment l’immunothérapie passive qui a été développée ces dernières années. Elle consiste à administrer au patient, par une injection intraveineuse, des anticorps ciblant les dépôts amyloïdes, une des lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer. Une fois ces anticorps fixés aux dépôts amyloïdes, le système immunitaire s’active pour éliminer ces dépôts et « nettoyer » le cerveau. Parmi ces nouveaux traitements d’immunothérapie, le Leqembi® et le KisunlaTM ont montré un potentiel prometteur pour ralentir le déclin cognitif dans les stades débutants de la maladie d’Alzheimer”, explique la scientifique.
En effet, précisons que le KisunlaTM est une immunothérapie anti-amyloïde administrée sous la forme d’une injection intraveineuse de l’anticorps donanemab. Les résultats de cette molécule sont très prometteurs puisque les essais ont montré une réduction des dépôts amyloïdes cérébraux de 84 % et un ralentissement du déclin cognitif et fonctionnel de 35 % après 18 mois de traitement.
Des traitements particulièrement efficaces à un stade précoce de la maladie
Le Dre Panchal insiste particulièrement sur l’importance d’un diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer puisque l’efficacité de ces nouveaux traitements a surtout été démontrée aux stades précoces de la maladie : “Ce traitement est réservé aux malades atteints de troubles cognitifs légers ou d’une maladie d’Alzheimer au stade débutant. L’étude a également montré une réduction de 39 % du risque de progresser vers le stade suivant de la maladie. ”
Elle explique en effet que l’un des enjeux actuels de la recherche Alzheimer est le diagnostic précoce de la maladie, au moment où les premiers symptômes ne sont pas encore apparus. L’efficacité des nouveaux traitements prometteurs contre Alzheimer est donc liée à la découverte de nouveaux marqueurs permettant de déceler tôt les modifications physiologiques dans le cerveau des malades : “La maladie d’Alzheimer est caractérisée par une progression lente et silencieuse, avec la formation dans le cerveau des protéines toxiques bêta-amyloïde et tau qui débute 15 à 20 ans avant l’apparition des symptômes. Ce stade préclinique de la maladie d’Alzheimer est devenu un axe de recherche très important, car les chercheurs pensent qu’une intervention thérapeutique au plus tôt dans la maladie offrirait de meilleures chances de ralentir son évolution.”
Avec l’apparition de ces nouveaux traitements, il semble que le grand public soit davantage sensibilisé à l’importance du diagnostic précoce : “À la Mayo Clinic, la Fédération hospitalo-universitaire et de recherche américaine, les cliniciens proposent le Leqembi® aux patients depuis septembre 2023 et ils ont vu leur nombre de bilans neuropsychologiques augmenter de 40% en 3 mois. Cela est dû à la mobilisation de la population pour consulter rapidement dès les premiers signes de perte de mémoire, afin de bénéficier de ce traitement qui est spécifique des stades débutants de la maladie”, explique le Dre Panchal.
Quelles sont les limites actuelles des traitements d’immunothérapie contre la maladie d’Alzheimer ?
A l’heure actuelle, seuls le Lequembi® déjà présent sur le marché américain et le KisunlaTM récemment autorisé par la FDA, sont disponibles en tant que traitements d’immunothérapie de la maladie d’Alzheimer. Si les résultats sont très prometteurs, certaines barrières persistent encore pour une utilisation à grande échelle de ces médicaments.
Un coût élevé mais partiellement remboursé
La société pharmaceutique Eli Lilly and Company’s a déclaré que le KisunlaTM sera vendu aux États-Unis 32 000 $ pour un an, avec une couverture potentielle par Medicare, la couverture de santé américaine. En comparaison, le prix du Leqembi® aux Etats-Unis a été fixé à 26 500 $ par an et par malade, avec une prise en charge à 80% par Medicare.
Des effets secondaires à contrôler
Le deuxième inconvénient du KinsulaTM, tout comme du Lequembi®, est la présence de certains effets secondaires possibles avec ces traitements. Le Dre Panchal explique la nature de ces effets secondaires : “Ce traitement peut induire des hémorragies cérébrales ou des œdèmes cérébraux, appelés « ARIA ». Ces ARIA sont des effets secondaires en lien avec l’administration d’anticorps monoclonaux anti-amyloïdes. En effet, l’administration de ces anticorps dans le sang va induire une réponse inflammatoire pour éliminer les dépôts amyloïdes à travers les vaisseaux sanguins cérébraux. Cet afflux d’anticorps augmente la perméabilité de ces vaisseaux, ce qui entraîne une fuite dans les tissus environnants, créant des hémorragies ou des œdèmes. Dans la majorité des cas, les ARIA sont asymptomatiques et disparaissent après l’arrêt du traitement, mais dans de rares cas, ils peuvent être plus graves, ce qui nécessite une surveillance du patient par des séances régulières d’IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique) tout au long du traitement.” Elle précise également que le Leqembi® est une immunothérapie anti-amyloïde qui présente un mécanisme d’action similaire au KisunlaTM et dont le but est de nettoyer les dépôts amyloïdes dans le cerveau des malades. “Ce traitement a montré un ralentissement significatif de 27 % du déclin cognitif après 18 mois et il est également réservé aux patients ayant des troubles cognitifs légers ou atteints d’une maladie d’Alzheimer au stade débutant. Tout comme le KisunlaTM, le Leqembi® peut provoquer des effets secondaires de type ARIA qu’il est nécessaire de surveiller par IRM.”
Les effets secondaires relatifs à l’administration d’anticorps monoclonaux anti-amyloïdes expliquent d’ailleurs en grande partie la raison pour laquelle le Lequembi® pourtant autorisé aux Etats-Unis a été refusé par l’Agence européenne du médicament (EMA), le 26 juillet dernier. Le Dre Panchal en explique les raisons : “L’Agence européenne a estimé que les bénéfices du traitement n’étaient pas suffisamment importants pour compenser les effets secondaires associés.”
Cependant, cette réponse pourrait être réétudiée au vu de résultats récents très positifs présentés par Eisai. “Lors de la conférence scientifique internationale AAIC de Philadelphie qui s’est déroulée du 28 juillet au 1er août 2024, Eisai a dévoilé ses nouveaux résultats concernant son étude d’extension avec le Leqembi® sur 36 mois. Leurs résultats prometteurs démontrent que trois années de traitement continu avec Leqembi® continuent de ralentir le déclin cognitif chez les malades d’Alzheimer aux stades débutants. La société pharmaceutique Eisai va donc demander un réexamen du dossier auprès de l’agence européenne du Médicament en soumettant ces nouvelles données, afin de rendre disponible ce traitement aux personnes éligibles en Europe.”
La réponse concernant une éventuelle mise sur le marché européen du KisunlaTM est, quant à elle, toujours en attente.
Peut-on désormais soigner la maladie d’Alzheimer ?
Ces traitements innovants que représentent le Lequembi® et le KisunlaTM nous laissent donc entrevoir une nouvelle voie thérapeutique pour la maladie d’Alzheimer, même si, à l’heure actuelle, il convient de rester prudent sur les termes employés. “Même en l’absence de traitements curatifs, on peut dire que la maladie d’Alzheimer ne se guérit pas, mais elle se soigne. En faisant un bilan médical et en posant un diagnostic de façon précoce, cela permet d’identifier les problématiques qu’il va falloir suivre et d’essayer d’y pallier. Le diagnostic précoce répond au questionnement des familles, permet de mettre en place des accompagnements médico-sociaux et une prévention secondaire pour éviter l’aggravation de la maladie,” explique la Directrice de la Fondation.
Même si, pour le Dre Panchal, l’immunothérapie représente une grande avancée, selon elle, l’avenir des traitements thérapeutiques d’Alzheimer se situe davantage dans une multithérapie permettant de tenir compte des différents aspects de la maladie : “Il est important de rappeler que les 2 traitements KisunlaTM et Leqembi® ne permettent pas de stopper complètement la progression de la pathologie, mais de ralentir le déclin cognitif. Par ailleurs, la maladie d’Alzheimer est une pathologie multifactorielle. Une autre protéine toxique, appelée tau, s’accumule dans le cerveau malade et est à l’origine des symptômes. D’autres facteurs entrent également en jeu, comme la neuroinflammation, le métabolisme cellulaire, et les aspects vasculaires, génétiques et environnementaux. Ainsi, afin de stopper le déclin cognitif, il sera nécessaire de développer plusieurs traitements qui ciblent ces différents versants. On se tourne donc vers une approche de multithérapie. Actuellement, 127 candidats-médicaments pour la maladie d’Alzheimer sont en cours de développement dans le monde. Il faudra également recourir à différentes approches thérapeutiques telles que la thérapie génique, des méthodes moléculaires ou biologiques, l’immunothérapie, la vaccination et même la greffe de cellules souches. L’exploration de toutes ces approches sera nécessaire pour espérer traiter efficacement cette maladie.”
Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer : des travaux prometteurs soutenus par la Fondation Vaincre Alzheimer
Comme précisé plus haut, la réussite des nouveaux traitements contre Alzheimer est étroitement liée aux progrès de la recherche scientifique concernant les méthodes de diagnostic précoce, afin de déceler la maladie le plus tôt possible, avant l’apparition des premiers symptômes. Actuellement, le développement de nouveaux marqueurs radiologiques assistés par IA est en pleine expansion pour aider à ce diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. “En effet, l’IA peut améliorer l’analyse des données issues des images d’IRM et du TEP-scan pour un diagnostic plus rapide. Mais l’IA peut également aider au suivi des deux traitements KisunlaTM et Leqembi®, par exemple pour prédire le risque de transformation hémorragique chez les patients qui seront sous traitement, comme le logiciel Icobrain aria qui suit l’apparition des ARIA. Ce logiciel est en cours d’homologation par la FDA”, précise le Dr Panchal.
Très active dans la recherche pour la lutte contre la maladie d’Alzheimer, la Fondation Vaincre Alzheimer a investi ces dernières années sur des projets très innovants dans le domaine du diagnostic précoce :
- L’application Memscreen, développée au sein de l’hôpital Lariboisière-Fernand Widal à Paris, est destinée aux médecins généralistes pour faciliter le repérage des troubles cognitifs.
- Le développement de nouveaux biomarqueurs sanguins comme la protéine GFAP (Glial Fibrillary Acidic Protein). Son dosage dans le sang pourrait informer sur la présence de la neuro-inflammation chez les malades d’Alzheimer aux premiers stades de la maladie.
- L’identification de marqueurs subtils de la phase silencieuse de la maladie d’Alzheimer comme le système glymphatique. Le système glymphatique permet d’éliminer les déchets accumulés dans le cerveau pendant le sommeil, dont la protéine bêta-amyloïde. L’étude fine du système glymphatique pourrait permettre de détecter la survenue de troubles cognitifs.
- Le développement d’un diagnostic basé sur l’oculométrie pour réussir à détecter la maladie d’Alzheimer de manière très précoce.
- L’analyse de nouveaux marqueurs fluidiques, comme les larmes, pour améliorer le diagnostic de la maladie d’Alzheimer.
Pour en apprendre davantage sur la maladie d’Alzheimer et les travaux de recherche en cours, la Fondation Vaincre Alzheimer présentera le 12 septembre 2024 à 14h à l’Académie nationale de médecine la deuxième édition de son Rapport sur l’état de la recherche médicale sur la maladie d’Alzheimer, intitulé « Diagnostiquer la maladie d’Alzheimer : Où en sommes-nous ? Quel futur pour les malades ? ».
Lors de cette journée, et en présence de neurologues et chercheurs experts, la Fondation présentera le parcours diagnostique actuel de la maladie d’Alzheimer en France, les freins rencontrés par les malades et leurs proches, les visions divergentes du diagnostic entre Europe et Etats-Unis qui pourraient avoir un impact sur l’accès des malades à un diagnostic fiable et éthique et aux traitements, et les progrès de la recherche sur le diagnostic.
On peut s’inscrire à cette journée d’information en envoyant nom, prénom, email et téléphone à l’adresse suivante : g.lierre@vaincrealzheimer.org
Sources : Interview du Dre Maï Panchal, Directrice Générale et Scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer.
Dre Maï Panchal, Ph.D.
Directrice Générale et Scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer
Docteur ès Sciences de l’Université Paris 6, le Dr. Maï Panchal a été chercheur dans le domaine des maladies neuro-évolutives pendant plus de 12 ans. Elle a notamment bénéficié d’un poste de jeune chercheur créé par le Plan National Alzheimer. En 2012, elle intègre la Fondation Vaincre Alzheimer en tant que Coordinatrice scientifique Europe pour superviser l’évaluation des programmes de recherche et de leurs subventions en France, en Allemagne et aux Pays- Bas. Par la suite, elle occupe le poste de Directrice Scientifique et développe les orientations scientifiques pour répondre aux besoins de la recherche française sur la maladie d’Alzheimer. Elle est actuellement la Directrice Générale et Scientifique de la Fondation.
Linkedin : Maï Panchal
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