En France, les chutes concerneraient chaque année au moins 2 millions de personnes de plus de 65 ans. Elles seraient à l’origine de 100 000 hospitalisations et d’environ 10 000 décès. Les chutes font partie des principales causes de perte d’autonomie chez les personnes âgées. La prévention des chutes et de ses complications représente donc un enjeu majeur de santé publique. Comment éviter les chutes et surtout les récidives ? Quels sont les moyens de prévention ? Quelle est la place de l’activité physique et de la kinésithérapie? Les réponses d’Eléonore Durand, kinésithérapeute, spécialisée en gériatrie et en maintien de l’autonomie chez les personnes âgées.
Après des années d’expérience en gériatrie, et notamment au sein de divers SSR gériatriques, EHPAD et clinique spécialisée, Eléonore Durand accompagne aujourd’hui les personnes âgées au sein d’un service SMR (Soins médicaux et de réadaptation) gériatrique axé sur la rééducation motrice, l’autonomie et la préparation des retours à domicile. Elle est également formatrice en école d’aides-soignants et kinésithérapie et dispense des formations continues à des rééducateurs de diverses régions de France.
Eléonore a accepté de nous faire part de son expertise et de ses conseils concernant la prévention des chutes et la préservation de l’autonomie des personnes âgées.
Quelles sont les causes et les conséquences des chutes chez les personnes âgées ?
Plus on avance en âge et plus le risque de chute augmente, avec une propension accrue de récidive durant la même année. Pour Eléonore, la prévention et la diminution des risques impliquent une prise en charge personnalisée qui tient compte de la personne dans sa globalité. “Les chutes ont des causes et des conséquences différentes selon les personnes. Il est difficile de prévoir les conséquences d’une chute sur chaque cas particulier. Tout dépend de l’état de santé physique et psychologique de la personne avant la chute, ainsi que d’autres paramètres importants comme le temps passé au sol, le nombre de chutes antérieures et si elles ont entrainées une hospitalisation, par exemple,” précise la spécialiste.
Elle explique que l’on peut globalement partager la population à risque en deux types de personnes. Les personnes âgées en bonne santé physique, dites “robustes” qui ont tendance à multiplier les activités durant la retraite et sont exposées à des risques de chute : monter sur une échelle pour bricoler, sur un escabeau pour tailler les haies, pratiquer des sports davantage à risque comme le ski ou le vélo sur la route. Dans ces cas-là, les chutes sont moins fréquentes mais souvent plus graves, avec des polytraumatismes (plusieurs fractures et contusions.) Pour les personnes plus fragiles ou même dépendantes, les chutes surviennent durant les activités du quotidien, par exemple, dans la salle de bain, en faisant le ménage, à cause d’un obstacle comme un tapis.
La spécialiste attire notre attention sur le cercle vicieux qui se cache derrière la problématique des chutes chez les personnes âgées : “Physiquement, si la chute entraîne une fracture avec une diminution de la mobilité, une phase, par exemple, durant laquelle la personne n’a pas le droit de s’appuyer sur une jambe ou si elle a un bras en attelle, il existe un risque de réduire les activités de la vie quotidienne, les activités physiques et donc les stimulations musculaires, articulaires et de l’équilibre. La diminution de la stimulation du corps peut faire entrer les personnes les plus robustes dans un cercle de fragilité et créer une dépendance chez les plus fragiles. Le risque de rechute sera alors plus important. L’alitement, très néfaste pour les personnes âgées et que l’on évite au maximum, a des conséquences encore plus importantes sur la force musculaire et les capacités d’équilibration en position debout. Psychologiquement, la chute peut entamer la thymie des personnes âgées. Elles n’auront plus confiance en leur corps, auront peur de rechuter et risquent de limiter grandement leurs activités physiques de tous les jours. Là, s’installe un cercle vicieux, car une baisse de l’activité physique diminue les capacités musculaires, articulaires et sensorielles qui aident au maintien de la position debout. Le risque de chute sera encore plus important.”
Quels sont les moyens de prévention des chutes chez les personnes âgées ?
Eléonore rappelle que le risque zéro chute n’existe pas et que le but est avant tout de le minimiser au maximum. La prévention est principalement axée sur l’activité physique. “Le corps est un fainéant et oublie vite. S’il n’est pas stimulé tous les jours, il va « oublier » comment faire pour tenir debout et sera moins efficace : la force musculaire, les amplitudes articulaires tout comme la sensibilité s’en trouvent diminuées.”
Elle recommande vivement les activités physiques comme la gymnastique, le yoga et le Tai-chi en tant que prévention primaire des chutes, c’est-à-dire pour les personnes qui n’ont pas encore chuté et qui font partie des seniors “robustes”. La prévention secondaire ou tertiaire, pour des personnes âgées ayant déjà chuté et dépendantes doit passer par une prise en charge spécialisée et adaptée dispensée par des rééducateurs professionnels comprenant notamment des ergothérapeutes, des kinésithérapeutes, des enseignants en activité physique adaptée et des psychomotriciens. On pourra alors procéder à un bilan sur les capacités et entamer une rééducation ciblée selon les besoins spécifiques de la personne comme une faiblesse musculaire ou des troubles de l’équilibre, par exemple.
“La prévention passe aussi par d’autres moyens comme l’aménagement du domicile et notamment le désencombrement des voies de passages, le retrait des tapis, une surveillance de l’apport en protéine avec un suivi diététique, des soins des pieds et une surveillance par un pédicure, une surveillance de l’hydratation, de la polymédication. En aucun cas, la prévention des chutes ne passe par la mise en place de contention. Les études montrent au contraire que la contention pelvienne entraîne une augmentation du nombre de chutes et de leurs conséquences.”, ajoute Eléonore.
Comment la kinésithérapie peut-elle aider à prévenir les chutes?
Que ce soit pour un retour à domicile ou en EHPAD, la kinésithérapie joue un rôle clé et accompagne les personnes tout au long du processus de vieillissement. D’abord, dans le cadre de la prévention et par la suite pour entretenir les capacités et éviter la dépendance, puis, pour limiter les complications de la grabatisation et permettre les soins d’hygiène.
Si la kinésithérapie apparaît comme essentielle pour prévenir les chutes et les récidives, Eléonore insiste sur l’importance d’une prise en charge individualisée et adaptée à chaque personne et à son vécu. “Aucun tableau clinique n’est le même. Il est nécessaire d’apprendre à s’adapter et surtout à observer la personne dans sa globalité. Pour illustrer mes propos, voici un exemple pratique : je peux prendre en charge un patient ayant une prothèse totale de la hanche suite à une chute et nécessitant un renforcement musculaire, une mobilisation articulaire et un travail de l’équilibre, mais si en plus ce dernier souffre d’une pathologie comme la maladie de Parkinson, je devrais adapter les exercices et les techniques utilisées à cette pathologie en particulier qui crée une raideur générale et des troubles de l’équilibre plus spécifiques”, explique la spécialiste.
Elle mentionne également l’importance d’évaluer dans la prise en charge le contexte de vie de la personne et le but de la rééducation, notamment si un retour à domicile est prévu ou plutôt une entrée en établissement. Par ailleurs, dans le cadre d’une évaluation globale, les bilans sont essentiels et permettent de se focaliser sur les capacités restantes et la fonction.
Conseils pour préserver l’autonomie et réduire le risque de chute
Pour la spécialiste, la meilleure prévention reste sans conteste l’activité physique. Faire du sport, de la gymnastique, du yoga, du tai-chi , ou simplement de la marche pour aller chercher son pain, promener son chien… Mais cela peut aussi être n’importe quelle activité physique comme le ménage ou la vaisselle, qui permet de rester un peu debout et de travailler l’équilibre, jardiner ou toute autre activité qui fait bouger. “Conserver des activités physiques tout au long de la journée permet de stimuler les muscles et les récepteurs sensoriels nécessaires à la perception de la position du corps (proprioception) tout en maintenant une certaine souplesse articulaire. Il ne faut donc jamais se laisser aller à la fainéantise”, précise Eléonore.
Parmi les nombreuses méthodes qu’elle préconise pour maintenir l’équilibre et lutter contre les chutes, elle recommande particulièrement les exercices suivants :
– Battre la mesure avec les pieds : en position assise, pieds au sol, soulever les talons puis la pointe de pied et recommencer. On peut faire cet exercice les deux pieds en même temps et en décalé pour travailler la coordination. Cet exercice permet de stimuler les muscles de la cheville qui sont les premiers à réagir lors d’un déséquilibre. Cela permet aussi de stimuler la sensibilité profonde des articulations et muscles, la proprioception, mais aussi la sensibilité superficielle des pieds qui fournit une information précieuse sur le type de sol et la présence éventuelle d’un obstacle. En effet, avec l’âge, ces deux types de sensibilité deviennent généralement moins efficaces.
– Le TADDA : le Transfert Assis Debout, Debout Assis. C’est un exercice complet qui permet de renforcer les muscles des membres inférieurs nécessaires à ce transfert, mais aussi à l’équilibre et à la marche. Cet exercice aide à travailler aussi la souplesse car il exige de se pencher en avant en augmentant la flexion des hanches, des genoux et des chevilles. Il a aussi pour avantage de renforcer la confiance en soi et de diminuer la peur de tomber en avant.
Eléonore insiste également sur l’importance de travailler le relevé du sol, même lorsque la personne est robuste et parfaitement autonome. “Cet exercice diminue la peur de tomber et permet de conserver les automatismes des différentes étapes à réaliser pour se relever, sachant que la chute est un événement stressant qui limite parfois toute réflexion au moment venu”.
Ainsi, la kinésithérapie est une discipline essentielle à la préservation de l’autonomie des personnes âgées et à une prise en charge ciblée pour diminuer les risques de chute et de récidive, travailler l’équilibre et stimuler les capacités physiques et musculaires des personnes âgées. Elle fait partie intégrante de l’accompagnement en EHPAD et contribue activement au maintien à domicile dans de bonnes conditions. La kinésithérapie en gériatrie, parfois sous-estimée ou peu attrayante pour les jeunes rééducateurs occupe pourtant une place prépondérante dans le parcours de soins à domicile ou en institution. Elle mérite d’être reconnue à sa juste valeur et de bénéficier de conditions optimales dans le but d’attirer davantage de professionnels dans cette spécialisation.
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Eléonore Durand : Profil Linkedin / Instagram
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